La coopération franco-russe dans les chemins de fer

22
mai 2014

Depuis la signature de l’alliance franco-russe, ratifiée par Alexandre III de Russie en 1893, des visites officielles entre les pays alliés se déroulent à un rythme régulier. En 1896, le Tsar Nicolas II et sa jeune épouse la princesse Alix de Hesse-Darmstadt viennent à Paris pour une visite triomphale au cours de laquelle il poseront la première pierre du Pont Alexandre III, symbole de l’amitié franco-russe. Ce voyage se fera en train. Ou plutôt, la fin du voyage se fera en train, car le changement d’essieux, dû à la différence de largeur des voies entre la Russie et le reste de l’Europe nécessite plusieurs jours d’immobilisation. La première partie du voyage de la suite impériale se fera donc en bateau. Pour son arrivée à Paris, on a construit une gare provisoire au Ranelagh.

Le second voyage à Paris du Tsar se fera cinq ans plus tard, en 1901 et toujours en train. Mais en 1906, c’est une ligne régulière qui est ouverte entre Saint-Pétesbourg et Cannes, via Vienne et Nice, sur laquelle, selon Clive Lamming, « d’extravagants russes amoureux de la finesse française gagnent les palaces de la Côte d’Azur à 55km/h de moyenne ».

En 2010, la tradition reprend des voyages en train entre la France et la Russie avec l’ouverture de la ligne Moscou Nice, puis une ligne Moscou Paris, via Berlin avec trois trains par semaine en hiver et cinq en été.

Mais ces liaisons posent de nombreux problèmes qu’il a fallu résoudre par une coopération approfondie entre les deux pays et leurs sociétés de chemins de fer. Le plus évident de ces problèmes est la différence de largeur de voies entre la Russie et le reste de l’Europe. L’écartement dit « normal » (parce qu’il a été adopté sur 60% du réseau mondial) est de 1 435 mm. C’est celui de l’Union Européenne. En revanche, l’écartement des rails, en Russie, est de 1 520 mm. Les trains doivent donc s’arrêter à Brest, la frontière entre la Biélorussie et la Pologne pour changer les bogies et les attelages. Heureusement, cette opération ne prend plus plusieurs jours comme à l’époque de Nicolas II. Elle se fait en environ deux heures. Le train complet est soulevé à environ deux mètres du sol par des engins, les passagers restant à leurs places.

Parmi les autres problèmes à régler, nous citerons le système de réservations. Le train reliant la Russie à la France, il fallait que les passagers puissent faire leurs réservations et acheter les billets dans leur pays. Il a donc été nécessaire de négocier des contrats permettant à la SNCF de vendre des billets de trains Russes dans tout son réseau de distribution : gares, agences de voyages, Voyages-SNCF.com et aux chemins de fer russes (RZD) de vendre des billets de trains dans un certain nombre de points de vente, via le logiciel Euronet. 2014 verra l’ouverture d’une version en russe du site internet de Rail-Europe permettant aux clients russophones d’acheter leur billet de trains SNCF directement sur Internet. D’autres accords ont étés ou seront prochainement passés avec raileurope, le plus large réseau de vente de billets de train et d’autres réseaux.

Dans le cadre du développement des relations franco-russes dans le rail, plusieurs gares françaises ont été jumelées avec des gares russes (Saint-Pétersbourg-Baltique et Saint-Lazare, Vladivostok et Marseille, Moscou-Biélorussie et Paris-Est, Ekaterinbourg et Strasbourg, Sotchi et Nice ou Samara et Toulouse). Les réactions des équipes concernées un peu timides au départ se sont rapidement « réchauffées », car ces liens permettent des échanges d’expérience très fructueux, entre professionnels et hors des schémas protocolaires.

La société AREP, filiale de la SNCF est également présente en Russie dans le domaine des études pluridisciplinaire en aménagement et construction de gares et connexions. Elle a une succursale à Moscou et intervient dans deux projets, le réaménagement de la gare de l’aéroport de Moscou-Sheremetyevo visant une meilleure transparence des installations, et le développement immobilier associé à la nouvelle station de métro Technopark .

AREP est également associé aux réflexions sur les options d’évolution de la gare de Moscou-Koursk (Kourskii Vokzal) dans le cadre de l’éventuelle réalisation de la ligne à grande vitesse Moscou-Kazan. Cette gare dessert l’est du pays.

Les créations de lignes à grande vitesse vont sensiblement changer la fréquentation des gares de Moscou et AREP et la SNCF participent à une réflexion sur l’organisation du « Grand Moscou » et, en particulier de la complémentarité du TGV et des transports régionaux et urbains.

Mais la coopération ne se limite pas au transport de voyageurs, bien au contraire. La Russie située entre l’Europe et l’Asie a des projets importants concernant le transport de fret entre ces deux pôles économiques. Une autre filiale de la SNCF, Geodis est présente en Russie où elle a des représentations dans six villes, Moscou, Saint-Pétersbourg, Astrakhan, Togliatti, Magadan et Vladivostok.

Il existe déjà une réalisation concrète dans le domaine du fret, sous la forme d’une liaison ferroviaire entre Mulhouse et Kaluga. Cette ligne transporte des pièces détachées destinées à l’usine que PSA a construite à 180 kilomètres environ au sud de Moscou, dans la ville de Kaluga.

Mais le grand projet est une liaison régulière entre la France et la Chine, via l’Allemagne, la Pologne, la Biélorussie et la Russie. Le premier tronçon relierait Lille, Lyon et Duisburg à Moscou et alimenterait entre autres, une plateforme logistique en banlieue de la capitale russe. Le projet prévoit, pour le moment, cinq trains par semaine soit environ 250 trains par an. Le second tronçon, de loin le plus long, relierait Moscou à Vladivostok, avec un embranchement au sud du lac Baïkal qui filerait vers Pékin à travers la Mongolie. L’objectif du projet, dans un premier temps, serait d’un train par semaine, soit environ 48 trains par an.

Mais tout ceci met en jeu un grand nombre d’acteurs différents et le défi à relever n’en est que plus grand. Tout d’abord, sur le plan juridique, il faut prévoir de nouvelles normes communes à tous les acteurs, dans chacun des pays traversés. Cela passe aussi par la création d’une «lettre de voiture» unique qui pourrait suivre la marchandise du début à la fin du transport.

Dans le domaine technique, il faudrait faire des travaux d’infrastructure permettant d’augmenter la vitesse des convois, concevoir du matériel roulant adapté aux conditions extrêmes rencontrées sur le parcours, en particulier en hiver. Il faudrait également concevoir une alimentation en électricité individualisée par wagon. Et puis il faudrait créer un système informatique capable de gérer l’administration de l’ensemble et qui soit compatible avec les systèmes des différent pays. L’infrastructure devra également supporter l’augmentation du trafic en supprimant les goulots d’étranglement qui ne manqueront pas de se créer.

Enfin, et ce ne sera pas le plus simple encore une fois à cause du grand nombre de pays traversés, il faudra simplifier les contraintes administratives, adopter des horaires compatibles d’un pays à l’autre, et être capable d’assurer une régularité qui permette l’insertion de ce nouveau trafic dans celui déjà existant. Enfin, les tarifs devront être compétitif avec la concurrence du bateau ou de l’avion et surtout stables dans le temps et prévisibles.

Au croisement de la grande vitesse et des transports urbains et régionaux, Systra, filiale à parité de SNCF et de la RATP, est le premier groupe d’ingénierie des transports ferroviaires et urbains au monde. Il est également présent en Russie où il souhaite participer au développement de l’inter modalité des transports et travailler avec des partenaires locaux et internationaux.

Trois liaisons sont actuellement à l’étude en Russie qui intéressent particulièrement la SNCF, ses partenaires et ses filiales :
– la liaison Moscou Saint-Pétersbourg vers le nord, (660 km)
– vers le sud, celle qui irait de Moscou à Sochi et Adler (1.450 km)
– enfin, vers l’est, la liaison Moscou – Nijnii Novgorod – Kazan (803 km)

Dans le domaine de la grande vitesse, bien que rien ne soit encore décidé sur le plan des réalisations en Russie, des coopérations très fortes existent déjà en particulier dans le domaine de la formation. L’école des cadres et infrastructures de la SNCF coopère avec plusieurs universités ferroviaires russes. Cette coopération comporte des échanges d’étudiants.

Mais le grand projet récent est la création d’un « Master Grande Vitesse Ferroviaire ». Ce dernier aura pour objectif d’adapter les formations des Universités ferroviaires russes aux besoins croissants de la grande vitesse ferroviaire, avec deux options de spécialisation. La première concernera les infrastructures et la seconde l’exploitation en faisant la promotion de l’expertise française. Dans ce but, le cursus créé devra être compatible et équivalent au Master 2 reconnu dans l’Union Européenne (Processus de Bologne). Cela supposera de :
– définir l’architecture et développer les modules (ECTS)
– effectuer une formation pilote (2 sessions en Russie et 2 sessions en Ukraine)
– assurer la pérennité en Russie et Ukraine pour 10 ans au moins
– obtenir des ministères de l’Education les habilitations et certifications des universités pour enseigner le diplôme
– trouver les ressources (financières et humaines) nécessaires
– préparer l’implantation de la formation dans d’autres universités et d’autres pays

Le cursus sera enseigné à l’Université ferroviaire de Moscou MIIT (option Exploitation) et à l’Université ferroviaire de Saint-Pétersbourg PSTU (option Infrastructure), de même qu’en Ukraine. Côté français, le CNAM sera chef de file de l’ensemble et la 1ère rentrée est prévue en septembre 2014.

D’autres universités devraient être associées à ce projet, comme l’Université technique de Riga en Lettonie et l’Ecole polytechnique Radom en Pologne.

Le mois de février 2013 a également vu la création entre la France et la Russie du «Centre International de la Grande Vitesse» qui rassemble côté russe les chemins de fer RZD et l’Université ferroviaire de Moscou et, du côté français, la SNCF, l’ENPC et le CNAM.

Mais de nombreux points restent à étudier dans ce domaine de la grande vitesse. Il faut créer une véritable concertation sur les activités scientifiques et techniques en organisant des travaux communs qui utilisent les potentiels scientifiques et techniques russes et français. Des travaux de recherche sont encore nécessaires dans le domaine de la très grande vitesse (supérieure à 350km/h), les sols mous, la réduction des bris de vitre dûs aux projections de glace, l’alimentation en électricité dans les zones isolées, la sûreté ou la compatibilité fret/TGV.

La SNCF est prête à apporter son savoir-faire dans le domaine de la grande vitesse et à travailler avec ses partenaires Alstom, Systra, AREP ou Bouyghes. Pour ce qui concerne les réalisations concrètes de lignes TGV, elle ne peut qu’attendre les décisions des autorités russes.

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