Environ 170 participants dont 28 intervenants étaient présents le 17 février 2012 à la Grande Chambre de la Cour de cassation à Paris pour assister à la Conférence organisée par la Société Juridique Franco-Russe sur le thème « UE – Russie : Vers une pleine reconnaissance réciproque des décisions judiciaires ». Les travaux ont porté sur les décisions civiles, y compris familiales, et commerciales.
– Discours d’ouverture
Les discours d’ouverture ont tous témoigné d’une volonté des Etats et des systèmes judiciaires de raffermissement des liens entre la Russie et l’Europe et d’une nécessité de progresser sur la question de la reconnaissance des jugements. Les très hautes personnalités intervenantes[1] ont notamment souligné les évolutions positives de la justice en Russie et la possibilité, via les notions de compétence indirecte, de litispendance internationale et d’ordre public de contrôler au cas par cas les décisions. Le Ministre des Affaires Etrangères de la Fédération de Russie, Monsieur Lavrov a adressé aux participants et à la Société Juridique Franco Russe un message d’encouragement qui a été lu par son représentant.
– 1ère table ronde – Réception en Europe des jugements russes
Lors de la première table ronde dédiée à la réception en Europe des jugements russes, il a été rappelé par les exposants[2] que 14 Etats de l’UE ont avec la Russie une convention sur ce sujet mais que ces conventions ne sont pas uniformes et que certaines ont un champ étroit. D’autres Etats tels que la France reconnaissent les décisions russes en raison d’une politique libérale de reconnaissance des décisions étrangères en effectuant toutefois un certain nombre de contrôles dans le cadre de la procédure ordinaire d’exequatur. Des exemples ont été apportés de décisions de reconnaissance avec notamment un cas illustre au profit de la Banque Centrale de la Fédération de Russie. En revanche d’autres Etats de l’UE tels que l’Allemagne font obstacle à la reconnaissance des décisions russes principalement sur le grief de l’absence de réciprocité. Quant aux règles de la « common law » en Angleterre, elles ont été présentées comme extrêmement contraignantes pour la reconnaissance des jugements russes.
– 2ème table ronde – Réception en Russie des jugements européens
Les intervenants de la seconde table ronde[3] consacrée à la reconnaissance en Russie des jugements des tribunaux provenant des Etats de l’Union Européenne, ont exposé que la Russie ne reconnaît en principe que les jugements des Etats qui ont avec elle une convention internationale appropriée. Toutefois, une ligne de clivage se trace entre la jurisprudence des juridictions de droit commun et les juridictions commerciales. Certaines décisions judiciaires en matière commerciale très commentées ont admis la reconnaissance des décisions provenant d’Etats européens en l’absence de convention en se référant à des principes supérieurs de droit international. Par ailleurs, il a été exposé que les autorités russes sont attachées à ce principe de convention internationale en matière de reconnaissance des décisions étrangères ce qui représente pour elles un engagement de réciprocité.
– 3ème table ronde – Conséquences de la non reconnaissance des jugements
Dans la troisième table ronde, les représentants de la communauté des affaires[4] ont été entendus et ont jugé anachronique la situation décrite par les spécialistes notamment au regard de l’intensité des relations économiques entre la Russie et l’UE. Cette situation joue manifestement au détriment des petites et moyennes entreprises qui n’ont pas forcément les moyens ni l’envie de se tourner vers l’arbitrage international. Les représentants des associations professionnelles dont le MEDEF et le Dialogue Franco-Russe ont proposé, sous réserve de validation par leurs organes, de soutenir les propositions de la SJFR vis à vis des autorités compétentes pour rendre possible la mise en œuvre des jugements entre les deux ensembles.
– 4ème table ronde – Les perspectives de conclusion d’une Convention internationale
La quatrième et dernière table ronde était consacrée aux perspectives de conclusion de conventions entre l’UE, les Etats de l’UE et la Russie. Elle a commencé par des exposés[5] puis s’est poursuivie par des observations des autorités européennes et russes[6] et enfin par des échanges de vue entre exposants et autorités. La première secrétaire de la Conférence de la Haye a exposé l’œuvre de son organisation en matière de Convention internationale multilatérale de reconnaissance et d’exécution des jugements étrangers, mettant notamment en évidence les difficultés qui ont empêché le succès de la Convention de 1971. En revanche, elle a exprimé un certain optimisme concernant la Convention d’élection de for de 2005 qui règle pratiquement la problématique en matière commerciale. Puis l’évolution des règles complexes de compétence de l’UE en la matière ont été détaillées : elles conduisent aujourd’hui à une restriction très forte des compétences des Etats en la matière. Le dernier exposé a témoigné d’une amélioration sensible des relations UE-Russie notamment depuis le dernier sommet de décembre 2011, laissant augurer de l’achèvement prochain des négociations en cours pour le renouvellement de l’accord de partenariat entre les deux parties. Il a été proposé que cet accord donne un caractère prioritaire à la conclusion d’une convention UE-Russie de reconnaissance et d’exécution des décisions judiciaires et que des négociations soient ouvertes. De nombreuses autres propositions ont ensuite été détaillées lesquelles figurent dans la seconde partie du présent document.
– Discussion
Parlant en son nom personnel, l’ancien Directeur des services juridiques de l’UE, Président de section honoraire du Conseil d’Etat, a considéré que cette question relevait juridiquement de la compétence exclusive de l’UE et que si des blocages internes existaient peut être, ils ne lui semblaient pas pour autant absolument insurmontables. Les représentants des autorités russes témoignaient d’une volonté sans équivoque de trouver une solution à ce problème par tous les moyens possibles selon le Ministère de la Justice et avec une nette préférence pour un accord bilatéral UE-Russie selon le Ministère des Affaires Etrangères. La représentante du SEAE de l’UE a pour sa part indiqué que le prochain accord UE-Russie qui remplacera l’actuel Accord de Partenariat et de Coopération (APC) est actuellement en cours de négociation. Il offrira un cadre précis pour les relations UE-Russie et couvrira tous les domaines de la relation y compris en matière de coopération judiciaire.
Puis Alexandre Genko Starosselsky revenait sur les raisons profondes pour lesquelles une approche bilatérale devrait être privilégiée : en effet, la Conférence de la Haye n’est pas parvenue jusqu’à présent à mettre au point un mécanisme réellement multilatéral de reconnaissance des jugements civils en raison de difficultés juridiques très sérieuses. Cette appréciation était confirmée par la représentante de la Conférence de la Haye
– Clôture
Michel de Guillenchmidt, Président d’honneur de la SJFR a clôturé la séance en rappelant que parfois les questions internationales peuvent significativement progresser grâce à l’action des représentants de la société civile et d’associations indépendantes des autorités gouvernementales. Il a considéré que cette conférence en témoignait et a remercié très vivement les intervenants pour leur participation et le Premier Président de la Cour de cassation pour la généreuse hospitalité dont a ainsi bénéficié la SJFR.
Les présentes conclusions ont été adoptées par le Conseil d’Administration de la SJFR du 29 février 2012. Elles sont suivies d’un document intitulé « Positions et Propositions»
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Jacques Chaumont,sénateur honoraire,trésorier de DF-R,Alexandre Troubetzkoï,président exécutif de DF-R,Jean-Pierre Bloch, directeur du Service des Affaires européennes à l’Assemblée nationale,Hugues Malbert,membre du Bureau exécutif de DF-R, Jean Cadet, l’ancien ambassadeur de France en Russie
Jacques Chaumont, sénateur honoraire, trésorier du DF-R,Hughes Malbert, membre du Bureau Exécutif du DF-R, Roland Thureau, conseiller St.Gobain,Georges Estievenart,directeur honoraire de l’UE
– positions et propositions –
A la suite de ces travaux, la Société Juridique Franco-Russe, s’associe aux nombreuses voies de la société civile qui considèrent que la non reconnaissance des décisions judiciaires tant civiles, familiales que commerciales entre la Russie et certains Etats de l’UE est hautement dommageable.
Elle appelle la Russie et l’UE à ouvrir sans tarder des négociations en vue de la conclusion d’une convention bilatérale entre l’UE et la Russie qui pourrait se limiter à la question de la reconnaissance des décisions civiles, y compris familiales, et commerciales sur le modèle des dispositions contenues dans les Conventions d’entraide judiciaire en vigueur entre la Russie et certains pays de l’UE : y seraient distinguées la reconnaissance de plano pour les décisions ne nécessitant pas d’exécution forcée et une procédure d’exequatur pour les autres décisions. La procédure d’exequatur devrait prévoir un contrôle du respect de l’ordre public.
Elle propose également aux autorités russes et européennes d’adopter la Convention de la Haye sur l’élection de for et espère que la Conférence de la Haye parviendra prochainement à développer un nouveau modèle de convention multilatérale en matière de reconnaissance des décisions civiles et commerciales. La Société Juridique Franco-Russe sera heureuse d’être associée aux travaux du prochain groupe de travail en ce sens.
La Société Juridique Franco-Russe encourage l’Union Européenne à adopter une unification de ses règles de reconnaissance des décisions judiciaires vis à vis des pays tiers.
La Société Juridique Franco Russe rencontrera dans les mois à venir les plus hautes autorités russes et européennes afin de faire la promotion de ces positions. Elle proposera dans un second temps l’organisation d’un cadre permanent de discussion sur les questions juridiques entre l’UE et la Russie, ouvert à la société civile.
Les présentes positions et propositions ont été adoptées par le Conseil d’Administration de la SJFR du 29 février 2012. Elles seront adressées aux autorités gouvernementales par la SJFR dans le courant du mois de mars 2012.
notes:
[1] Dans l’ordre d’intervention : Vincent Lamanda, Premier Président de la Cour de cassation de la République Française, Anton Ivanov, Président de la Haute Cour Commerciale de la Fédération de Russie, Venyamin Yakovlev, Conseiller du Président de la Fédération de Russie et ancien Ministre de la Justice, Eric Maitrepierre, représentant du Garde des Sceaux de la République Française, Chef du service des affaires européennes et internationales du Ministère de la justice de la République Française, Kirill Gervorgyan, Ambassadeur et Directeur du service juridique du Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, Paul-Albert Iweins, Bâtonnier doyen de l’Ordre des Avocats de Paris et Michel de Guillenchmidt, Président d’honneur de la SJFR, Doyen honoraire de l’Université Paris Descartes et Avocat au Barreau de Paris.
[2] Dans l’ordre d’intervention : Patrick Matet, Conseiller à la Cour de Cassation, Bertrand Ancel, Professeur à l’Université Paris II Assas, Bernard Grelon, Avocat au Barreau de Paris, Professeur à l’Université Paris Dauphine, Katerina Haslam Jones, Avocat Associée du cabinet Padva Haslam Jones, Dr. Rainer Wedde, Professeur à la haute école de droit Rhein Main.
[3] Dans l’ordre d’intervention : Andrei Lisitsyn-Svetlanov, Membre de l’Académie des sciences de Russie, Directeur de l’Institut de l’Etat et du droit , Nadejda Chebanova, Professeur, Académie diplomatique du Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, Vladimir Yarkov, Vice-président de la Chambre fédérale des notaires et professeur à l’Académie juridique de l’Oural, Alexandre Mouranov, avocat et représentant de la Chambre fédérale des avocats de la Fédération de Russie.
[4] Dans l’ordre d’intervention : Alexandre Troubetzkoï, Président exécutif du Dialogue Franco Russe, Président du conseil d’administration de Svyazinvest, Evgenii Rashevskiy, Avocat au barreau de Moscou, Madame Michèle Assouline, Vice Présidente du Medef Paris.
[5] Dans l’ordre d’intervention : Didier le Prado, Ancien Président de l’ordre des Avocats aux Conseils, Vice Président de la Société de législation comparée, Marta Pertegas, Premier Secrétaire de la Conférence de La Haye de droit international privé, Dimitri Litvinski, Avocat au Barreau de Paris , Alexandre Genko Starosselsky, Avocat au barreau de Paris et Président de la SJFR.
[6] Dans l’ordre d’intervention : Jean-Louis Dewost, ancien Directeur des services juridiques de l’UE, Président de section honoraire du Conseil d’Etat, Mikhaïl Galperin, Directeur du Département des relations internationales du Ministère de la Justice de la Fédération de Russie, Nadia Costantini, Division Russie SEAE de l’UE, Elena Kulikova, Chef du service du droit international privé, Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.